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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/269

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fort comme la mort

— C’est un gladiateur, ce gaillard-là !

Rocdiane reprit, se tournant vers Bertin :

— Est-ce vrai qu’il épouse la fille de vos amis ?

— Je le pense, dit le peintre.

Mais cette question, en face de cet homme, en ce moment, en cet endroit, fit passer dans le cœur d’Olivier une affreuse secousse de désespoir et de révolte. L’horreur de toutes les réalités entrevues lui apparut en une seconde avec une telle acuité, qu’il lutta pendant quelques instants contre une envie animale de se jeter sur le marquis.

Puis il se leva.

— Je suis fatigué, dit-il. Je vais tout de suite au massage.

Un Arabe passait.

― Ahmed, es-tu libre ?

— Oui, monsieur Bertin.

Et il partit à pas pressés afin d’éviter la poignée de main de Farandal qui venait lentement en faisant le tour du Hammam.

À peine resta-t-il un quart d’heure dans la grande salle de repos si calme en sa ceinture de cellules où sont les lits, autour d’un parterre de plantes africaines et d’un jet d’eau qui s’égrène au milieu. Il avait l’impression d’être suivi, menacé, que le marquis allait le rejoindre et qu’il devrait, la main tendue, le traiter en ami avec le désir de le tuer.

Et il se retrouva bientôt sur le boulevard couvert de feuilles mortes. Elles ne tombaient plus, les dernières ayant été détachées par une longue rafale. Leur tapis rouge et jaune frémissait, remuait, ondulait d’un trottoir à l’autre sous les poussées plus vives de la brise grandissante.