Aller au contenu

Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
262
fort comme la mort

Elle connaissait si bien l’action des toilettes enfiévrantes du soir et des molles toilettes sensuelles du matin, du déshabillé troublant gardé pour déjeuner avec les amis intimes et qui laisse à la femme, jusqu’au milieu du jour, une sorte de saveur de son lever, l’impression matérielle et chaude du lit quitté et de la chambre parfumée !

Mais que pouvait-elle tenter sous cette robe sépulcrale, sous cette tenue de forçat, qui la couvrirait pendant une année entière ! Un an ! Elle resterait un an emprisonnée dans ce noir, inactive et vaincue ! Pendant un an, elle se sentirait vieillir jour par jour, heure par heure, minute par minute, sous cette gaine de crêpe ! Que serait-elle dans un an si sa pauvre chair malade continuait à s’altérer ainsi sous les angoisses de son âme ?

Ces idées ne la quittaient plus, lui gâtaient tout ce qu’elle aurait savouré, lui faisaient une douleur de tout ce qui aurait été une joie, ne lui laissaient plus une jouissance intacte, un contentement ni une gaîté. Sans cesse elle frémissait d’un besoin exaspéré de secouer ce poids de misère qui l’écrasait, car sans cette obsession harcelante elle aurait été si heureuse encore, alerte et bien portante ! Elle se sentait une âme vivace et fraîche, un cœur toujours jeune, l’ardeur d’un être qui commence à vivre, un appétit de bonheur insatiable, plus vorace même qu’autrefois, et un besoin d’aimer dévorant.

Et voilà que toutes les bonnes choses, toutes les choses douces, délicieuses, poétiques, qui embellissent et font chérir l’existence, se retiraient d’elle, parce qu’elle avait vieilli ! C’était fini ! Elle retrouvait pourtant encore en elle ses attendrissements de jeune