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fort comme la mort

profondes, il eut une sorte de révélation de la façon dont Gœthe rêva le cœur de Faust.

Il avait lu autrefois le poème qu’il estimait très beau, sans en avoir été fort ému, et voilà que, soudain, il en pressentit l’insondable profondeur, car il lui semblait que, ce soir-là, il devenait lui-même un Faust.

Un peu penchée sur le devant de la loge, Annette écoutait de toutes ses oreilles ; et des murmures de satisfaction commençaient à passer dans le public, car la voix de Montrosé était mieux posée et plus nourrie qu’autrefois !

Bertin avait fermé les yeux. Depuis un mois, tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il éprouvait, tout ce qu’il rencontrait en sa vie, il en faisait immédiatement une sorte d’accessoire de sa passion. Il jetait le monde et lui-même en pâture à cette idée fixe. Tout ce qu’il apercevait de beau, de rare, tout ce qu’il imaginait de charmant, il l’offrait aussitôt, mentalement à sa petite amie, et il n’avait plus une idée qu’il ne rapportât à son amour.

Maintenant, il écoutait au fond de lui-même l’écho des lamentations de Faust ; et le désir de la mort surgissait en lui, le désir d’en finir aussi avec ses chagrins, avec toute la misère de sa tendresse sans issue. Il regardait le fin profil d’Annette et il voyait le marquis de Farandal, assis derrière elle, qui la contemplait aussi. Il se sentait vieux, fini, perdu ! Ah ! ne plus rien attendre, ne plus rien espérer, n’avoir plus même le droit de désirer, se sentir déclassé, à la retraite de la vie, comme un fonctionnaire hors d’âge dont la carrière est terminée, quelle intolérable torture !

Des applaudissements éclatèrent, Montrosé triomphait déjà. Et Méphisto Labarrière jaillit du sol.