Aller au contenu

Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
fort comme la mort

En huit jours, elle l’eut conquis et séduit par cette bonne humeur, cette franchise et cette simplicité. Il avait complètement oublié ses préjugés contre les femmes du monde, et aurait volontiers affirmé qu’elles seules ont du charme et de l’entrain. Tout en peignant, debout devant sa toile, avançant et reculant avec des mouvements d’homme qui combat, il laissait couler ses pensées familières, comme s’il eût connu depuis longtemps cette jolie femme blonde et noire, faite de soleil et de deuil, assise devant lui, qui riait en l’écoutant et qui lui répondait gaiement avec tant d’animation qu’elle perdait la pose à tout moment.

Tantôt il s’éloignait d’elle, fermait un œil, se penchait pour bien découvrir tout l’ensemble de son modèle, tantôt il s’approchait tout près pour noter les moindres nuances de son visage, les plus fuyantes expressions, et saisir et rendre ce qu’il y a dans une figure de femme de plus que l’apparence visible, cette émanation d’idéale beauté, ce reflet de quelque chose qu’on ne sait pas, l’intime et redoutable grâce propre à chacune, qui fait que celle-là sera aimée éperdument par l’un et non par l’autre.

Un après-midi, la petite fille vint se planter devant la toile, avec un grand sérieux d’enfant, et demanda :

— C’est maman, dis ?

Il la prit dans ses bras pour l’embrasser, flatté de cet hommage naïf à la ressemblance de son œuvre.

Un autre jour, comme elle paraissait très tranquille, on l’entendit tout à coup déclarer d’une petite voix triste :

— Maman, je m’ennuie.

Et le peintre fut tellement ému par cette première plainte, qu’il fit apporter, le lendemain, tout un magasin de jouets à l’atelier.