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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/44

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fort comme la mort

ferait-il ? Il l’attendrait ! — Non, — il sortirait, afin que si, par hasard, elle arrivait fort en retard, elle trouvât l’atelier vide.

Il sortirait, mais quand ? Quelle latitude lui laisserait-il ? Ne vaudrait-il pas mieux rester et lui faire comprendre, par quelques mots polis et froids, qu’il n’était pas de ceux qu’on fait poser ? Et si elle ne venait pas ? Alors il recevrait une dépêche, une carte, un domestique ou un commissionnaire ? Si elle ne venait pas, qu’allait-il faire ? C’était une journée perdue : il ne pourrait plus travailler. Alors ?… Alors, il irait prendre de ses nouvelles, car il avait besoin de la voir.

C’était vrai, il avait besoin de la voir, un besoin profond, oppressant, harcelant. Qu’était cela ? de l’amour ? Mais il ne se sentait ni exaltation dans la pensée, ni emportement dans les sens, ni rêverie dans l’âme, en constatant que, si elle ne venait pas ce jour là, il souffrirait beaucoup.

Le timbre de la rue retentit dans l’escalier du petit hôtel, et Olivier Bertin se sentit tout à coup un peu haletant, puis si joyeux qu’il fit une pirouette en jetant sa cigarette en l’air.

Elle entra : elle était seule.

Il eut une grande audace, immédiatement.

— Savez-vous ce que je me demandais en vous attendant ?

— Mais non, je ne sais pas.

― Je me demandais si je n’étais pas amoureux de vous.

— Amoureux de moi ! vous devenez fou !

Mais elle souriait, et son sourire disait : « C’est gentil, je suis très contente. »