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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/86

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fort comme la mort

C’était un grand garçon à moustaches rousses, un peu chauve déjà, taillé en officier, avec des allures anglaises de sportsman. On sentait, à le voir, un de ces hommes dont tous les membres sont plus exercés que la tête, et qui n’ont d’amour que pour les choses où se développent la force et l’activité physiques. Il était instruit pourtant, car il avait appris et il apprenait encore chaque jour, avec une grande tension d’esprit, tout ce qu’il lui serait utile de savoir plus tard : l’histoire, en s’acharnant sur les dates et en se méprenant sur les enseignements des faits, et les notions élémentaires d’économie politique nécessaires à un député, l’A B C de la sociologie à l’usage des classes dirigeantes.

Musadieu l’estimait, disant : « Ce sera un homme de valeur. » Bertin appréciait son adresse et sa vigueur. Ils allaient à la même salle d’armes, chassaient ensemble souvent, et se rencontraient à cheval dans les allées du bois. Entre eux était donc née une sympathie de goûts communs, cette franc-maçonnerie instinctive que crée entre deux hommes un sujet de conversation tout trouvé, agréable à l’un comme à l’autre.

Quand on présenta le marquis à Annette de Guilleroy, il eut brusquement le soupçon des combinaisons de sa tante, et, après s’être incliné, il la parcourut d’un regard rapide d’amateur.

Il la jugea gentille, et surtout pleine de promesses, car il avait tant conduit de cotillons qu’il s’y connaissait en jeunes filles et pouvait prédire presque à coup sûr l’avenir de leur beauté, comme un expert qui goûte un vin trop vert.

Il échangea seulement avec elle quelques phrases