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Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/312

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Puis il n’écouta plus rien, il n’entendit plus rien. Une crise de jalousie suraiguë le déchira, car il venait de voir Annette porter son mouchoir à ses yeux.

Elle pleurait ! Donc son cœur s’éveillait, s’animait, s’agitait, son petit cœur de femme qui ne savait rien encore. Là, tout près de lui, sans qu’elle songeât à lui, elle avait la révélation de la façon dont l’amour peut bouleverser l’être humain, et cette révélation, cette initiation lui étaient venues de ce misérable cabotin chantant.

Ah ! il n’en voulait plus guère au marquis de Farandal, à ce sot qui ne voyait rien, qui ne savait pas, qui ne comprenait pas ! Mais comme il exécrait l’homme au maillot collant qui illuminait cette âme de jeune fille !

Il avait envie de se jeter sur elle comme on se jette sur quelqu’un que va écraser un cheval emporté, de la saisir par le bras, de l’emmener, de l’entraîner, de lui dire : « Allons-nous-en ! allons-nous-en, je vous en supplie ! »

Comme elle écoutait, comme elle palpitait ! et comme il souffrait, lui ! Il avait déjà souffert ainsi, mais moins cruellement ! Il se le rappela, car toutes les douleurs jalouses renaissent ainsi que des blessures rouvertes. C’était d’abord à Roncières, en revenant du cimetière, quand il sentit pour la première fois qu’elle lui échappait, qu’il ne pouvait