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Page:Maupassant - La main gauche, Ollendorff, 1903.djvu/175

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un soir

d’azur pâle, vraie fleur de mer, laissait traîner son corps liquide dans notre léger remous ; puis, soudain, le fond disparaissait, tombé plus bas, très loin, dans un brouillard de verre épaissi. On voyait vaguement alors de gros rochers et des varechs sombres, à peine éclairés par le brasier,

Trémoulin, debout à l’avant, le corps penché, tenant aux mains le long trident aux pointes aiguës qu’on nomme la fouine, guettait les rochers, les herbes, le fond changeant de la mer, avec un œil ardent de bête qui chasse.

Tout à coup, il laissa glisser dans l’eau, d’un mouvement vif et doux, la tête fourchue de son arme, puis il la lança comme on lance une flèche, avec une telle promptitude qu’elle saisit à la course un grand poisson fuyant devant nous.

Je n’avais rien vu que le geste de Trémoulin, mais je l’entendis grogner de joie, et comme il levait sa fouine dans la clarté du brasier, j’aperçus une bête qui se tordait traversée par les dents de fer. C’était un congre. Après l’avoir contemplé et me l’avoir montré en le promenant au-dessus de la flamme, mon ami le jeta dans le fond du bateau. Le serpent de mer, le corps percé de