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Page:Maupassant - La main gauche, Ollendorff, 1903.djvu/256

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le port

Dès qu’ils se sentirent sur le port, les dix hommes que la mer roulait depuis des mois se mirent en marche tout doucement, avec une hésitation d’êtres dépaysés, désaccoutumés des villes, deux par deux, en procession.

Ils se balançaient, s’orientaient, flairant les ruelles qui aboutissent au port, enfiévrés par un appétit d’amour qui avait grandi dans leur corps pendant leurs derniers soixante-six jours de mer. Les normands marchaient en tête, conduits par Célestin Duclos, un grand gars fort et malin qui servait de capitaine aux autres chaque fois qu’ils mettaient pied à terre. Il devinait les bons endroits, inventait des tours de sa façon et ne s’aventurait pas trop dans les bagarres si fréquentes entre matelots dans les ports. Mais quand il y était pris il ne redoutait personne.

Après quelque hésitation entre toutes les rues obscures qui descendent vers la mer comme des égouts et dont sortent des odeurs lourdes, une sorte d’haleine de bouges, Célestin se décida pour une espèce de couloir tortueux où brillaient, au-dessus des portes, des lanternes en saillie portant des numéros énormes sur leurs verres