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Page:Maupassant - La main gauche, Ollendorff, 1903.djvu/61

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allouma

on assomme, par pure violence, un chien qui désobéit. Je n’aurais pas senti ces tourments, ce feu rongeur, ce mal horrible, la jalousie du Nord. Je viens de dire que j’aurais pu la tuer comme on assomme un chien qui désobéit ! Je l’aimais en effet, un peu comme on aime un animal très rare, chien ou cheval, impossible à remplacer. C’était une bête admirable, une bête sensuelle, une bête à plaisir, qui avait un corps de femme.

Je ne saurais vous exprimer quelles distances incommensurables séparaient nos âmes, bien que nos cœurs, peut-être, se fussent frôlés, échauffés l’un l’autre, par moments. Elle était quelque chose de ma maison, de ma vie, une habitude fort agréable à laquelle je tenais et qu’aimait en moi l’homme charnel, celui qui n’a que des yeux et des sens.

Or, un matin, Mohammed entra chez moi avec une figure singulière, ce regard inquiet des Arabes qui ressemble au regard fuyant d’un chat en face d’un chien.

Je lui dis, en apercevant cette figure :

— Hein ? qu’y a-t-il ?

— Allouma il est parti.