Page:Maupassant - Le Horla, OC, Conard, 1909.djvu/184

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êtres que nous nous comprenions complètement, rien qu’en échangeant un coup d’œil.

Puis il s’était marié. Il avait épousé tout à coup une fillette de province venue à Paris pour chercher un fiancé. Comment cette petite blondasse, maigre, aux mains niaises, aux yeux clairs et vides, à la voix fraîche et bête, pareille à cent mille poupées à marier, avait-elle cueilli ce garçon intelligent et fin ? Peut-on comprendre ces choses-là ? Il avait sans doute espéré le bonheur, lui, le bonheur simple, doux et long entre les bras d’une femme bonne, tendre et fidèle ; et il avait entrevu tout cela, dans le regard transparent de cette gamine aux cheveux pâles.

Il n’avait pas songé que l’homme actif, vivant et vibrant, se fatigue de tout dès qu’il a saisi la stupide réalité, à moins qu’il ne s’abrutisse au point de ne plus rien comprendre.

Comment allais-je le retrouver ? Toujours vif, spirituel, rieur et enthousiaste, ou bien endormi par la vie provinciale ? Un homme peut changer en quinze ans !

Le train s’arrêta dans une petite gare. Comme je descendais de wagon, un gros, très gros homme, aux joues rouges, au ventre rebondi, s’élança vers moi, les bras ouverts,