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Page:Maupassant - Les causeurs, paru dans Le Gaulois, 20 janvier 1882.djvu/5

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cela lentement, laissant l’esprit retomber après chaque mot, la pensée des auditeurs bâiller entre chaque phrase, de telle sorte qu’on a toujours envie de leur dire : « Mais taisez-vous donc, laissez-moi au moins rêver tranquillement ».

Et puis toujours la conversation se traîne sur les choses banales du jour ou de la veille ; jamais plus elle ne s’envole d’un coup d’ailes pour se percher sur une idée, une simple idée, et, de là, sauter sur une autre, puis sur une autre.

J’ai souvent entendu Gustave Flaubert dire (et cette observation m’a paru d’une singulière et profonde vérité) : « Quand on écoute causer les hommes, on reconnaît les esprits supérieurs à ceci : c’est que sans cesse ils vont du fait à l’idée générale, élargissant toujours, dégageant une sorte de loi, ne prenant jamais un événement que comme tremplin ».

C’est ce que font les philosophes, les historiens, les moralistes. C’est ce que faisaient, toute proportion gardée, les charmants causeurs du siècle dernier. Ils jabotaient avec des idées bien plus qu’avec des faits divers. Aujourd’hui tout est faits divers. Quand on arrête, par hasard, dans un salon, l’écoulement des phrases toutes préparées, des idées reçues et des opinions adoptées, c’est pour narrer, sans commentaires spirituels d’ailleurs, quelque aventure d’alcôve ou de coulisse.



Il ne reste maintenant que des mono-.