Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/157

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plus du tout l’homme présenté par son frère. Celui d’aujourd’hui n’avait rien gardé de l’autre, rien, ni le visage, ni les allures, rien, car son image première avait passé peu à peu, jour par jour, par toutes les lentes modifications que subit dans un esprit un être aperçu qui devient un être connu, puis un être familier, un être aimé. On prend possession de lui heure par heure, sans s’en douter, on prend possession de ses traits, de ses mouvements, de ses attitudes, de sa personne physique et de sa personne morale. Il entre en vous, dans le regard et dans le cœur, par sa voix, par tous ses gestes, par ce qu’il dit et par ce qu’il pense. On l’absorbe, on le comprend, on le devine dans toutes les intentions de son sourire et de sa parole ; il semble enfin qu’il vous appartienne tout entier, tant on aime inconsciemment encore tout ce qui est de lui et tout ce qui vient de lui.

Alors, il demeure impossible de se rappeler ce qu’était cet être devant vos yeux indifférents, la première fois qu’il vous est apparu.

Donc, Paul Brétigny l’aimait ! Christiane n’éprouvait de cela ni peur, ni angoisse, mais un attendrissement profond, une joie immense, nouvelle, exquise d’être aimée et de le savoir.