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Page:Maupassant - Pierre et Jean, Ollendorff, 1888.djvu/162

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les fillettes épousent le garçon doté que présentent les parents. Ils s’étaient installés aussitôt dans leur magasin de la rue Montmartre ; et la jeune femme, régnant au comptoir, animée par l’esprit du foyer nouveau, par ce sens subtil et sacré de l’intérêt commun qui remplace l’amour et même l’affection dans la plupart des ménages commerçants de Paris, s’était mise à travailler avec toute son intelligence active et fine à la fortune espérée de leur maison. Et sa vie s’était écoulée ainsi, uniforme, tranquille, honnête, sans tendresse !…

Sans tendresse ?… Était-il possible qu’une femme n’aimât point ? Une femme jeune, jolie, vivant à Paris, lisant des livres, applaudissant des actrices mourant de passion sur la scène, pouvait-elle aller de l’adolescence à la vieillesse sans qu’une fois seulement, son cœur fût touché ? D’une autre il ne le croirait pas, — pourquoi le croirait-il de sa mère ?

Certes, elle avait pu aimer, comme une autre ! car pourquoi serait-elle différente d’une autre, bien qu’elle fût sa mère ?