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Page:Maupassant Bel-ami.djvu/281

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Au bout d’une minute, il demanda : — Es-tu venue quelquefois ici comme ça, le soir, avec Charles ?

Elle répondit : — Mais oui, souvent.

Et, tout à coup, il eut envie de retourner chez eux, une envie nerveuse qui lui serrait le cœur. Mais l’image de Forestier était rentrée en son esprit, le possédait, l’étreignait. Il ne pouvait plus penser qu’à lui, parler que de lui.

Il demanda, avec un accent méchant :

— Dis donc, Made ?

— Quoi, mon ami ?

— L’as-tu fait cocu, ce pauvre Charles ?

Elle murmura, dédaigneuse : — Que tu deviens bête avec ta rengaine.

Mais il ne lâchait pas son idée.

— Voyons, ma petite Made, sois bien franche, avoue-le ? Tu l’as fait cocu, dis ? Avoue que tu l’as fait cocu ?

Elle se taisait, choquée comme toutes les femmes le sont par ce mot.

Il reprit, obstiné : — Sacristi, si quelqu’un en avait la tête, c’est bien lui, par exemple. Oh ! oui, oh ! oui. C’est ça qui m’amuserait de savoir si Forestier était cocu. Hein ! quelle bonne binette de jobard ?

Il sentit qu’elle souriait à quelque souvenir peut-être, et il insista : — Voyons, dis-le. Qu’est-ce que ça fait ? Ce serait bien drôle, au contraire, de m’avouer que tu l’as trompé, de m’avouer ça, à moi.

Il frémissait, en effet, de l’espoir et de l’envie que Charles, l’odieux Charles, le mort détesté, le mort exécré, eût porté ce ridicule honteux. Et pourtant… pourtant une autre émotion, plus confuse, aiguillonnait son désir de savoir.