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Page:Maupassant Bel-ami.djvu/343

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Il se croyait enfin à peu près délivré de la Patronne, à qui il avait exprimé d’une façon claire, presque brutale, sa résolution de rompre, quand il reçut au journal le télégramme l’appelant, à deux heures, rue de Constantinople.

Il le relisait en marchant : « Il faut absolument que je te parle aujourd’hui. C’est très grave, très grave. Attends-moi à deux heures rue de Constantinople. Je peux te rendre un grand service. Ton amie jusqu’à la mort. — Virginie. »

Il pensait : « Qu’est-ce qu’elle me veut encore, cette vieille chouette ? Je parie qu’elle n’a rien à me dire. Elle va me répéter qu’elle m’adore. Pourtant il faut voir. Elle parle d’une chose très grave et d’un grand service, c’est peut-être vrai. Et Clotilde qui vient à quatre heures. Il faut que j’expédie la première à trois heures au plus tard. Sacristi ! pourvu qu’elles ne se rencontrent pas. Quelles rosses que les femmes ! »

Et il songea qu’en effet la sienne était la seule qui ne le tourmentait jamais. Elle vivait de son côté, et elle avait l’air de l’aimer beaucoup, aux heures destinées à l’amour, car elle n’admettait pas qu’on dérangeât l’ordre immuable des occupations ordinaires de la vie.

Il allait, à pas lents, vers son logis de rendez-vous, s’excitant mentalement contre la Patronne :

— Ah ! je vais la recevoir d’une jolie façon si elle n’a rien à me dire. Le français de Cambronne sera académique auprès du mien. Je lui déclare que je ne fiche plus les pieds chez elle, d’abord.

Et il entra pour attendre Mme Walter.

Elle arriva presque aussitôt, et dès qu’elle l’eut aperçu :

— Ah ! tu as reçu ma dépêche ! Quelle chance !

Il avait pris un visage méchant :

— Parbleu, je l’ai trouvée au journal, au moment où je