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Page:Monselet - Les Ressuscités, 1876.djvu/88

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LES RESSUSCITÉS

Pour moi, Chateaubriand existe surtout dans ses préfaces, c’est-à-dire presque en dehors de ses livres, dans ses lettres intimes, et, comme nous l’avons dit déjà, dans son style politique[1], partout enfin où il n’a pas le temps de boucler sa phrase, où il oublie Aristote et Boileau, où il improvise, où il se surprend à être lui malgré lui.

Pour l’avenir, il existera surtout dans ses Mémoires.

Au couchant de sa vie, une grave transformation s’est opérée dans son talent. Je dis grave et curieuse. C’est à soixante ans que lui est venue la jeunesse. C’est au bord de la tombe que cet austère penseur qui, à coup sûr, n’a jamais souri, s’est pris soudainement à rire aux éclats, du grand rire de Callot, de Montaigne, de Le Sage, et quelquefois aussi de Voltaire. Sa muse, au sortir de quelque fontaine de Jouvence inconnue, tout à l’heure déesse, nous est réapparue jeune fille couronnée de bleuets. C’était Junon ; ce n’est plus

  1. Sur ce terrain il a de très-beaux mots. Ainsi, dans ses attaques contre les terroristes, il les nomme des architectes en ossements. Et un peu plus loin : « Manufacturiers de cadavres, vous aurez beau broyer la mort, vous n’en ferez jamais sortir un germe de liberté ! »