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Page:NRF 16.djvu/257

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LES REVUES 25 1

et sans qu'ils aient aucune ressemblance.) Ce nouvel écrivain est géné- ralement assez fatigant à lire et difficile à comprendre parce qu'il unit les choses par des rapports nouveaux. On suit bien jusqu'à la première moitié de la phrase, mais là on retombe ; et on sent que c'est seulement parce que le nouvel écrivain est plus agile que nous. Or il advient des écrivains originaux comme des peintres originaux. Quand Renoir commença de peindre, on ne reconnaissait pas les choses qu'il montrait. Il est facile de dire aujourd'hui que c'est un peintre du xviiie siècle, mais on omet, en disant cela, le faaeur temps, et qu'il en a fallu beaucoup, même en plein xixe, pour que Renoir fût reconnu grand artiste. Pour y réussir, le peintre original, l'écrivain original, procèdent à la façon des oculistes. Le traitement par leur peinture, leur littérature — n'est pas toujours agréable. Quand il est fini, ils vous disent : maintenant regardez. Et voici que le monde qui n'a pas été créé une fois, mais l'est aussi souvent que survient un artiste original, nous apparaît si différent de l'ancien — parfaitement clair. Nous adorons les femmes de Renoir, Morand ou Giraudoux dans lesquelles, avant le traitement, nous nous refusions à voir des femmes. Et nous avons envie de nous promener dans la forêt qui nous avait semblé, le premier jour, tout, excepté une forêt, et par exemple une tapisserie de mille nuances où manquaient justement les nuances des forêts. Tel est l'univers périssable et nouveau que nous crée l'artiste et qui durera jusqu'à ce qu'un nouveau survienne.

  • *

Suarès parle de Carlyle dans les Écrits nouveaux (Dé- cembre) :

L'épouvantable abondance de Carlyle en toute sorte de devoirs et de dogmes m'en fait ime sorte de monstre. Il n'est pas d'orateur qui pérore plus vainement que ce Lapon du désert. Carlyle est le Tartarin du pôle. Là-haut, on ne tue pas des lions en carton peint ; on pêche des principes gelés, des absolus pétrifiés et des étoiles : elles brillent, mais elles sont mortes depuis dix mille ans

Son culte du silence est une manie du même ordre. Il s'enferme dans une tour ; mais elle est en peau d'âne, et tous les vents du ciel y jouent du tambour. Il fait murer sa chambre, pour avoir le silence ; mais il fait illuminer la maison, pour qu'on sache qu'il est dans sa chambre. Et si seul qu'il y soit, mille sirènes répètent chacun de ses soupirs ; mille lampes l'éclairent dans les cent défro- ques en poil de chameau qu'il revêt tour à tour. En somme, il veut être seul à crier.

Il prêche la sincérité sanglante et il ne réussit pas à être sincère.

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