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Page:NRF 16.djvu/543

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MARS OU LA GUERRE JUGEE 537

ainsi tout est prêt pour le dernier effort ; et dès la première débandade, excusable mais funeste, chacun redescend par nécessité au niveau de la force mécanique. De là cette cer- titude des conseils de guerre, qui ressemble à la force des choses. Et il ne faut point demander ce que devient la conscience humaine, en ces sombres sacrifices ; car elle n'en est point touchée ; elle ne peut les saisir. Il y a une horreur de ce qu'on ne saisit point, mais inexprimable et presque physique. Aussi ne faut-il point tant de volonté pour être impitoyable ; au contraire il n'en faut point du tout; mais seulement être poussé et pousser ; tel est ce métier terrible, et tellement au-dessous du jugement moral que les plus résolus n'en parlent qu'en badinant. Ce qui dé- tourne de mépriser la gloire militaire, mais peut-être aussi de l'aimer. « Ne parlons pas de cela », dit le héros.

��LE SYSTEME

Ce qu'ont pensé, ce que pensent maintenant les hommes qui furent crochets, harpons ou aiguillons pour rassembler, tirer et pousser les hommes vers la région terrible, je n'essaie point de le deviner ; ces visages à forme humaine fatiguent l'observation par un sérieux mécanique. Du moins, comme j'étais mêlé au troupeau des malheureux, j'ai connu le désespoir sans paroles de l'homme assis sur son lit, équipé à neuf, attendant l'appel du clairon. C'étaient des blessés à moitié guéris. Ils avaient tenté de gagner un jour ou deux et quelques-uns y avaient réussi ; c'est quelque chose qu'un jour ou deux de vie, mais enfin on en voit le bout. En route donc, tirant le pied, avec tout le bagage sur le dos. L'excès de la fatigue supprime ces rêveries amères qui aggravent nos maux ; on est assez content de faire le chemin ; on ne pense qu'à cela. Néan- moins presque tous cédaient à un instinct fort, qui les dé- - tournait. Ces voyages sont lents; il y a des arrêts inespérés ;

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