Aller au contenu

Page:NRF 16.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

54 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

reconnaissait mal les prévenances de ma mère ; pour un peu j'aurais trouvé qu'il lui manquait. Je ne pouvais com- prendre alors tout ce que le visage de la fortune peut pré- senter d'offensant pour un pauvre ; et pourtant le salon de La Roque n'avait rien de bien luxueux ; mais on s'y sen- tait à l'abri de cette meute de soucis qu'excite et fait aboyer la misère. Armand quittait les siens pour la première fois, et je crois qu'il était de ceux qui se blessent à tout ce qui ne leur est pas famiHer. Du reste la fâcheuse impression de ce premier soir dura peu ; bientôt il se laissa cajoler par ma mère et par Anna qui avait de bonnes raisons pour le com- prendre mieux encore. Pour moi j'étais ravi d'avoir un camarade, et remisai mes hameçons.

Notre plus grand amusement était de nous lancer à travers bois, à la manière des « Trapeurs de l'Arhansas » dont Gustave Aimard nous racontait les aventures, dédai- gneux des chemins tracés, ne reculant devant fourrés ni fondrières, et ravis au contraire lorsque l'épaisseur des taillis nous obligeait à progresser péniblement sur les genoux et sur les mains, voire à plat- ventre, car nous tenions à déshonneur de biaiser.

Nous passions les après-midi du dimanche à Blancmesnil ; c'étaient alors d'épiques parties de cache-cache, fécondes en péripéties, car elles se jouaient dans la grande ferme, à travers granges, remises et n'importe quels bâtiments. Puis, après que nous eûmes éventé leurs mystères, nous en cherchâmes d'autres à La Roque, où vinrent Lionel et sa sœur Blandine ; nous montions à la ferme de la Cour Vesque (que mes parents appelaient Cour l'Evêque) et, là, les parties reprirent de plus belle, dans l'imprévu de ce décor nouveau. Blandine allait avec Armand, et je restais avec Lionel ; les uns chassant, les autres, alternativement, se cachant sous des fagots, sous des bottes de foin, dans la paille ; on grimpait sur les toits, on passait par tous les pertuis, toutes les trappes, et par ce trou dangereux, au- dessus du pressoir, par où l'on fait crouler les pommes ;

�� �