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Page:NRF 16.djvu/67

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SI LE GRAIN \E MEURT... 6l

venait d'achever ses études de médecine et commençait à cherciier clientèle ; je n'ai pas souvenir de l'avoir jamais rencontré. Quant au pasteur Bavretel, le père, la philan- thropie le retenait sans doute et je ne le connaissais pas encore, lorsque soudain, certaine fin d'après-midi que Madame Bavretel avait convié à goûter quelques amis d'Armand, il fit, dans la salle à manger où nous partagions le gâteau des rois, une apparition sensationnelle. Ah ! juste ciel ! qu'il était laid ! C'était un homme court, carré des épaules, avec des bras et des mains de gorille ; la dignité de la redingote pastorale accentuait encore l'inélégance de son aspect. Que dire de son chef ? Les cheveux grison- nants, huileux, par paquets de mèches plates lustraient son col ; les yeux globuleux roulaient hagardement sous des paupières épaisses ; le nez faisait un encombrement informe ; sa lèvre inférieure, tuméfiée, retombait en avant, molle, violette et baveuse. Il parut, et notre anima- tion figea net. Il ne demeura parmi nous qu'un instant, prononça quelque phrase insignifiante, comme :

— Amusez-vous bien mes enfants. ou

— Que Dieu vous ait en sa sainte garde, et sortit, entraînant à sa suite Madame Bavretel à qui il voulait dire quelques mots.

L'an suivant, dans les mêmes circonstances exactement, il fit exactement la même entrée, dit la même phrase, ou une exactement équivalente, et allait ressortir exactement de la même manière, suivi de son épouse, lorsque celle-ci ayant eu la malencontreuse attention de m'appeler pour me présenter à lui, qui jusqu'alors ne me connaissait que de nom, le pasteur me tira à lui, ô horreur ! et avant que j'eusse pu m'en défendre, colla sa lèvre humide sur mon front.

Je ne le vis que ces deux fois, mais mon impression fut si vive qu'il ne cessa depuis de hanter mon imagination ; même il commença d'habiter un livre que je projetais

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