Page:Nerval - Choix des poésies de Ronsard, 1830.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et disent : Ô chétifs, qui, mourant sur un livre,
Pensez, seconds phénix, en vos cendres revivre,
Que vous estes trompez en vostre propre erreur !
Car, et vous, et vos vers, vivez par procureur.
Un livret tout moisi vit pour nous ; et encore,
Comme la mort vous fait, la taigne le dévore.
Ingrate vanité, dont l’homme se repaist,
Qui bâille après un bien qui sottement lui plaist !

Ainsi les actions aux langues sont sujettes.
Mais ces divers rapports sont de faibles sagettes,
Qui blessent seulement ceux qui sont mal armez ;
Non pas les bons esprits, à vaincre accoustumez,
Qui sçavent, avisez, avecques différence,
Séparer le vray bien du fard de l’apparence.
C’est un mal bien estrange au cerveau des humains,
Qui, suivant ce qu’ils sont malades ou plus sains,
Digèrent leur viande ; et selon leur nature,
Ils prennent ou mauvaise ou bonne nourriture.

Ce qui plaist à l’œil sain offense un chassieux ;
L’eau se jaunit en bile au corps d’un bilieux ;
Le sang d’un hydropique en pituite se change,
Et l’estomach gasté pourrit tout ce qu’il mange.
De la douce liqueur rosoyante du ciel,
L’une en fait le venin, et l’autre en fait le miel,
Ainsi c’est la nature et l’humeur des personnes,