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Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/113

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rêtaient les pieds furtifs de ma compagne. Indifférente aux souvenirs du philosophe genevois, elle cherchait çà et là les fraises parfumées, et, moi, je lui parlais de La Nouvelle Héloïse dont je récitais par cœur quelques passages.

— Est-ce que c’est joli ? dit-elle.

— C’est sublime.

— Est-ce mieux qu’Auguste Lafontaine ?

— C’est plus tendre.

— Oh ! bien, dit-elle, il faut que je lise cela. Je dirai à mon frère de me l’apporter la première fois qu’il ira à Senlis. 

Et je continuais à réciter des fragments de L’Héloïsependant que Sylvie cueillait des fraises.


VI

OTHYS

Au sortir du bois, nous rencontrâmes de grandes touffes de digitale pourprée ; elle en fit un énorme bouquet en me disant :

— C’est pour ma tante ; elle sera si heureuse d’avoir ces belles fleurs dans sa chambre !

Nous n’avions plus qu’un bout de plaine à traverser pour gagner Othys. Le clocher du village pointait sur les coteaux bleuâtres qui vont de Montméliant à Dammartin. La Thève bruissait de nouveau parmi les grès et les cailloux, s’amincissant au voisinage de sa source, où elle se repose dans les prés, formant un petit lac au milieu des glaïeuls et des iris. Bientôt nous gagnâmes les premières maisons. La tante de Sylvie habitait une petite chaumière bâtie en pierres de grès inégales que revêtaient des treillages de houblon et de vigne vierge ; elle vivait seule de quelques carrés de terre que les gens du village cultivaient pour elle depuis la mort de son mari. Sa nièce arrivant, c’était le feu dans la maison.