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Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/223

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« — Eh bien, dit le capitaine Vallier, c’est toute l’aventure du sergent prussien tué par Desroches.

« — Desroches ! s’écria Wilhelm ; est-ce du lieutenant Desroches que vous parlez ?

« — Oh ! non, non, se hâta de dire un officier, qui s’aperçut qu’il allait y avoir là quelque révélation terrible ; ce Desroches dont nous parlons était un chasseur de la garnison, mort il y a quatre ans, car son premier exploit ne lui a pas porté bonheur.

« — Ah ! il est mort, dit Wilhelm en essuyant son front d’où tombaient de larges gouttes de sueur.

« Quelques minutes après, les officiers le saluèrent et le laissèrent seul. Desroches, ayant vu par la fenêtre qu’ils s’étaient tous éloignés, descendit dans la salle à manger, où il trouva son beau-frère accoudé sur la longue table et la tête dans ses mains.

« — Eh bien, eh bien, nous dormons déjà ?… Mais je veux souper, moi ; ma femme s’est endormie enfin, et j’ai une faim terrible… Allons, un verre de vin, cela nous réveillera et vous me tiendrez compagnie.

« — Non, j’ai mal à la tête, dit Wilhelm, je monte à ma chambre. À propos, ces messieurs m’ont beaucoup parlé des curiosités du fort. Ne pourriez-vous pas m’y conduire demain ?

« — Mais sans doute, mon ami.

« — Alors, demain matin, je vous éveillerai.

« Desroches soupira, puis il alla prendre possession du second lit qu’on avait préparé dans la chambre où son beau-frère venait de monter (car Desroches couchait seul, n’étant mari qu’au civil). Wilhelm ne put dormir de la nuit, et tantôt il pleurait en silence, tantôt il dévorait de regards furieux le dormeur, qui souriait dans ses songes.

« Ce qu’on appelle le pressentiment ressemble fort au poisson précurseur qui avertit les cétacés immenses et presque aveugles que là pointille une roche tranchante, ou qu’ici est un