Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/305

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pas moins animées qu’elles ne le sont aujourd’hui. Du Bellay s’écrie qu’il faudrait que tous les rois amateurs de leur langue défendissent d’imprimer les œuvres des poêles surannés de l’époque.

« Oh ! combien je désire voir sécher ces printemps, châtier ces petites jeunesses, rabattre ces coups d’essai, tarir ces fontaines, bref abolir ces beaux titres suffisants pour dégoûter tout lecteur savant d’en lire davantage ! Je ne souhaite pas moins que ces dépourvus, ces humbles espérants, ces bains de Liesse, ces esclaves, ces traverseurs[1], soient renvoyés à la table ronde, et ces belles petites devises aux gentilshommes et damoiselles, d’où on les a empruntées. Que dirai-je plus ? Je supplie à Phébus Apollon que la France, après avoir été si longuement stérile, grosse de lui, enfante bientôt un poëte dont le luth bien résonnant fasse tarir ces enrouées cornemuses, non autrement que les grenouilles quand on jette une pierre en leur marais[2]. »

Après une nouvelle exhortation aux Français d’écrire en leur langue, du Bellay finit ainsi : « Or, nous voici, grâce à Dieu, après beaucoup de périls et de flots étrangers, rendus au port à sûreté. Nous avons échappé du milieu des Grecs et au travers des escadrons romains, pénétré jusqu’au sein de la France, France tant désirée. Là donc, Français, marchez courageusement vers cette superbe cité romaine, et, de ses serves dépouilles, ornez vos temples et autels. Ne craignez plus ces oies criardes, ce fier Manlie et ce traître Camille, qui sous ombre de bonne foi vous surprennent tout nus comptant la


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  1. Allusion aux ridicules surnoms que prenaient les poëtes du temps : l’Humble Espérant (Jehan le Blond) ; le Banni de Liesse (François Habert) ; l’Esclave fortuné (Michel d’Amboise) ; le Traverseur des voies périlleuses (Jehan Bouchet). Il y avait encore le Solitaire (Jehan Gohorry) ; l’Esperonnier de discipline (Antoine de Saix), etc., etc.
  2. Il s’agit là de Pierre de Ronsard, annoncé comme le Messie par ce nouveau saint Jean. Du Bellay a-t-il voulu équivoquer sur le prénom de Ronsard avec cette figure de la pierre ? Ce serait peut-être aller trop loin que de le supposer.