Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/313

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Je dis ce puissant Dieu, dont la force est partout.
Qui conduit l’univers de l’un à l’autre bout,
Et fait à tous humains ses justices égales,
Autant aux laboureurs qu’aux personnes royales.
Lequel nous supplions vous tenir en sa loi,
Et vous aimer autant qu’il fit David son roi,
Et rendre comme à lui votre sceptre tranquille,
Car, sans l’aide de Dieu, la force est inutile.


On pourra juger d’après ces vers, dont le style est, en général, celui de tous les discours de Ronsard, combien est ridicule l’accusation d’obscurité et de dureté qui depuis deux siècles flétrit ses poésies ; et il nous sera de plus loisible d’avancer que la Harpe ne les avait jamais lues, lorsqu’il s’écrie qu’on ne peut pas lire et comprendre quatre vers de suite chez Ronsard. Qu’on me permette de citer encore une de ses élégies, qui, sans être partout aussi pure que le morceau précédent, lui est supérieure, ce me semble, sous le rapport de la poésie :


À MARIE

Six ans étoient coulés, et la septième année
Étoit presques entière en ses pas retournée,
Quand, loin d’affection, de désir et d’amour,
En pure liberté je passois tout le jour,
Et, franc de tout souci qui les âmes dévore,
Je dormois dès le soir jusqu’au point de l’aurore ;
Car seul, maître de moi, j’allois plein de loisir
Où le pied me portoit, conduit de mon désir,
Ayant toujours aux mains, pour me servir de guide,
Aristote ou Platon, ou le docte Euripide,
Mes bons hôtes muets, qui ne fâchent jamais ;
Ainsi je les reprends, ainsi je les remets.
Ô douce compagnie, et utile et honnête !
Un autre en caquetant m’étourdiroit la tête.

Puis, du livre ennuyé, je regardois les fleurs,
Feuilles, tiges, rameaux, espèces et couleurs ;
Et l’entrecoupement de leurs formes diverses,
Peintes de cent façons, jaunes, rouges et perses[1].

  1. Bleues