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Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/383

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tendant la voiture de Senlis pour revenir à Paris s’était arrêté à contempler une église du xiiie siècle, dont le peu d’apparence est compensé par l’antiquité curieuse du monument.

Un gendarme — ceci se passait, il y a plusieurs mois — le suivait des yeux dans ses observations, et remarquait surtout qu’il prenait des notes sur un calepin. Pendant une demi-heure, il hésita à manifester ses soupçons ; mais enfin, ne trouvant pas naturel qu’on restât une demi-heure à regarder une église, il se décida à lui frapper sur l’épaule et à lui demander ses papiers.

— Des papiers à L*** ? à trois lieues de Paris ? dit l’archéologue avec douceur.

— Vous n’en avez pas ?… Suivez-moi chez le maire.

Ce n’était pas le maire de Meaux, — qui passe pour un homme lettré ; — le maire de L*** dit à l’archéologue :

— Que faisiez-vous devant cette église ?

— J’en constatais l’antiquité.

— Et vous preniez des notes ?

— Les voici.

— Je n’ai pas besoin de regarder vos notes ; ce ne sont pas là des papiers, et, puisque vous n’en avez pas d’autres, ces messieurs vont vous conduire devant le substitut de P***.

Il fut forcé de marcher jusque-là entre deux gendarmes.

Le substitut de P*** dit à l’archéologue, qui se plaignait d’un tel traitement :

— Ce que vous me dîtes de ce qu’a fait le maire à votre égard est tellement incroyable, que je n’en crois pas un seul mot. Il est impossible qu’un fonctionnaire municipal du département de l’Oise ait pu prendre sur lui de faire arrêter un homme qui regardait une église !

— Un chien regarde bien un évêque ! dit le savant Parisien.

— Par conséquent, je vous considère comme encore plus suspect. On va vous conduire à Paris, puisque vous prétendez que vous y habitez, et, là, on avisera.