Aller au contenu

Page:Nerval - Lorely, 1852.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

astres, une de ses couleurs, une de ses régions fabuleuses. Ainsi, pour moi, déjà bien des contrées du monde se sont réalisées, et le souvenir qu’elles m’ont laissé est loin d’égaler les splendeurs du rêve qu’elles m’ont fait perdre. Mais qui pourrait se retenir pourtant de briser encore une de ces portes enchantées, derrière lesquelles il n’y a souvent qu’une prosaïque nature, un horizon décoloré ? N’imagine-t-on pas, quand on va passer la frontière d’un pays, qu’il va tout à coup éclater devant vous dans toute la splendeur de son sol, de ses arts et de son génie ?… Il n’en est pas ainsi, et chaque nation ne se découvre à l’étranger qu’avec lenteur et réserve, laissant tomber ses voiles un à un comme une pudique épousée.

Tout en songeant à cela, nous avons traversé le Rhin ; nous voici sur le rivage et sur la frontière germanique. Rien ne change encore ; nous avons laissé des douaniers là-bas, et nous en retrouvons ici ; seulement ceux de France parlaient allemand, ceux de Bade parlent français ; c’est naturel. Kehl est aussi une petite ville toute française, comme toutes les villes étrangères qu’avoisinent nos frontières. Si nous voulons observer une ville allemande, retournons à Strasbourg.

Aussi bien il n’existe à Kehl que des débitants de tabac. Vous avez là du tabac de tous les pays, et même du tabac français vraie régie, façon de Paris, passé en contrebande sans doute, et beaucoup meil-