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Page:Nerval - Lorely, 1852.djvu/60

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se répandent du bord des trois tapis verts, dont le plus entouré est celui du trente et quarante. On ne peut trop s’étonner du nombre de belles dames et de personnes distinguées qui se livrent à ces jeux publics. J’ai vu des mères de famille qui apprenaient à leurs enfants à jouer sur les couleurs ; aux plus grands, elles permettaient de s’essayer sur les numéros. Tout le monde sait que le grand-duc de Hesse est l’habitué le plus exact des jeux de Baden. Ce prince apporte, dit-on, tous les matins, 12 000 florins qu’il perd ou quadruple dans la journée. Une sorte d’estafier le suit partout lorsqu’il change de table, et reste debout derrière lui, afin de surveiller ses voisins. À quiconque s’approche trop, ce commissaire adresse des observations : — Monsieur, vous gênez le prince ! — Monsieur, vous faites ombre sur le jeu du prince ! Le prince ne se détourne pas, ne voit personne, ne connaît personne. Ce serait bien lui qu’on pourrait frapper par derrière sans que son visage en sût rien. Seulement l’estafier vous dirait du même ton glacé : — Votre pied vient de toucher le prince ; prenez-y garde, monsieur !

Le samedi, le jour du grand bal, une cloison divise le salon en deux parties inégales, dont la plus considérable est livrée aux danseurs ; les abonnés seuls sont reçus dans cette dernière. Vous ne pouvez vous faire une idée de la quantité de blanches épaules russes, allemandes et anglaises que j’ai vues dans