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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/106

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TANTE GERTRUDE

sa redingote, du coupe irréprochable, faisait admirablement valoir sa haute taille droite et élancée… Il avait vraiment grand air, le régisseur, dans sa tenue de soirée.

C’était l’avis de Thérèse et ce fut aussi celui de Mlle de Neufmoulins, comme elle toisait le jeune homme des pieds à la tête pendant qu’il s’inclinait, devant elle et la saluait respectueusement.

— Où allons-nous ! marmottait-elle, en lui tournant le dos l’instant après. Dans quel temps vivons-nous, mon Dieu ! Si ça ne fait pas pitié de voir des gueux avoir ainsi des airs de grands seigneurs ! Et cette fillette ! si on ne la prendrait pas pour une princesse ! continua-t-elle en apercevant Madeleine, jolie à ravir dans une délicieuse toilette de voile rose — un cadeau de son frère, avait-elle dit à Mlle de Neufmoulins. Cette dernière, qui avait donné la robe à son régisseur pour la petite, en lui défendant de l’offrir en son nom, se garda bien de laisser rien voir ; mais au lieu de faire à Madeleine le compliment qu’elle attendait, elle gronda sur la sottise d’encourager ainsi la coquetterie chez les enfants, et s’éloigna, laissant la fillette toute déçue.

— Vite, il faut allumer les bougies, avant que nos invités arrivent ! déclara Thérèse, en approchant une échelle double et en demandant au régisseur de l’aider.

Elle seule ne semblait pas en fête, la pauvre orpheline. Sa robe noire, simple et sans ornement, n’ajoutait guère de charme à sa taille épaisse, sinon disgracieuse ; aucune coquetterie ne se montrait dans l’arrangement de sa chevelure. La jeune fille, avec ses traits pâles et irréguliers, n’avait nulle prétention à la beauté, et pourtant son visage respirait une telle bonté que personne ne la trouvait laide.

Toujours pleine d’entrain, elle avait grimpé sur une des marches les plus élevées de l’échelle, criant à Jean Bernard d’en faire autant de l’autre côté, et elle s’était mise vivement à l’ouvrage.

Madeleine s’était installée au-dessous d’elle et Gontran avait pris place auprès de son frère ; tous les quatre travaillaient consciencieusement, charmés de voir apparaître l’une après l’autre les lumières qui étincelaient comme de petites étoiles