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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/126

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TANTE GERTRUDE

CHAPITRE XII


— Oh ! m’sieu Bernard, faites excuse, je ne savais pas que vous étiez là.

— Quelle heure est-il donc, Zoé ?

Et le jeune régisseur jeta sur la bonne un regard étonné.

— Il n’est pas loin de six heures, m’sieu Bernard ; on ne voit plus clair, et comme il n’y avait pas de lumière chez vous, je vous croyais au château.

— Six heures !

Il y avait donc quatre heures que Jean était là enfermé, inconscient du temps, ne sachant plus s’il était éveillé ou s’il avait été le jouet d’un rêve… Mais le léger parfum de violette qui flottait dans la pièce lui rappela soudain tout ce qui s’était passé, et il se leva brusquement de son fauteuil.

— Zoé, courez prévenir Mlle de Neufmoulins que je suis… souffrant. Elle m’aura sans doute attendu l’après-midi. Dites-lui que ce n’est qu’un malaise, une migraine. Demain, je serai à ses ordres.

Oui, il paraissait vraiment malade son maître, pensait la vieille Zoé, comme elle franchissait la distance entre l’Abbaye et le château, toute frappée encore de la pâleur du jeune homme, de l’éclat fiévreux de ses yeux noirs, de son visage contracté.

C’est que Jean Bernard venait d’éprouver une émotion telle qu’il n’en avait jamais ressenti de sa vie… Et il se trouvait plongé tout à la fois dans un abîme de bonheur et de désespoir.

Sa bonne était partie au marché d’Ailly ce jour-là, il était deux heures, et il s’apprêtait à se rendre au château quand sa porte ouverte brusquement avait livré passage à Paule, pâle, tout en pleurs, plus belle que jamais dans son chagrin éploré.

— Monsieur Jean, s’était-elle écriée, tante