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TANTE GERTRUDE

Épouser Paule ?… Le pouvait-il ? Son cœur répondait oui, mais sa raison lui disait non. Avait-il le droit de lui laisser partager sa vie de luttes et de misère ?… Certes, elle l’aimait sincèrement, il n’en doutait pas ; elle était prête à accepter la pauvreté avec lui, elle le lui avait dit elle-même. Mais devait-il profiter d’une heure d’affolement, d’un accès de découragement ? D’autre part, l’honneur l’obligeait à tout avouer à Mlle de Neufmoulins, et que se passerait-il alors ? Connaissant la nature violente de la châtelaine, il savait qu’elle le jetterait à la porte comme un chien, et ne manquerait pas de l’accuser d’avoir tout fait pour arriver à gagner l’affection de sa nièce, en vue de son héritage !… C’était là une première épreuve, mais ce n’était pas la dernière ! Il perdrait du même coup sa situation, le gagne-pain qui faisait vivre ceux dont il était le seul protecteur… Et à cette pensée, le cœur du jeune homme se serrait affreusement, tandis qu’il cherchait une issue, un moyen de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouvait ainsi acculé… Non, il ne pouvait songer pour le moment à épouser Paule, non, il n’en avait pas le droit !… Il le lui dirait, il la supplierait d’attendre qu’il eût trouvé une autre position. Elle savait qu’elle pouvait avoir foi en lui, qu’il lui appartenait pour toujours… elle comprendrait, elle se résignerait. Il croyait pouvoir compter aussi sur elle ; il l’avait éprouvée par tous les moyens, et elle n’avait pas montré la moindre faiblesse.

— Je ne suis qu’un intendant, lui avait-il dit, un domestique à gages, ne rougirez-vous jamais d’être la femme d’un Jean Bernard ?

— Non, Jean. Je serai aussi fière de m’appeler Mme Bernard que je l’eusse été de porter le titre de comtesse de Ponthieu.

Il avait tressailli et était devenu d’une pâleur livide à ce nom jeté ainsi brusquement, mais elle ne s’en était pas aperçue.

Une joie immense avait ensuite rempli le cœur de Jean en entendant cette protestation d’amour invincible ; mais à cette heure il était déchiré par la perspective des épreuves, des souffrances qui