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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/53

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TANTE GERTRUDE

de sorte que si ma proposition vous plaît, vous n’avez qu’à entrer en fonctions immédiatement. Envoyez une dépêche disant l’heure de votre arrivée et le cocher vous attendra à la gare d’Ailly, la plus voisine de Neufmoulins.

« Gertrude de Neufmoulins. »


La foudre fût tombée aux pieds de Jean qu’il n’eût pas été plus saisi qu’à la lecture de cette furieuse épître !

Il ne savait s’il devait rire ou se fâcher de son ton insolent.

Et l’image de la vieille fille, avec ses longs bras en ailes de moulin lui revenait aussi nette que s’il venait de quitter le château ; il y avait quinze ans de cela ! Il la revoyait arpentant les rues de la petite ville, avec son éternel cabas en tapisserie, bourré d’objets de toutes sortes, marchant à grands pas sans souci de sa coiffure toujours posée de travers sur ses cheveux grisonnants en désordre ; les traits durs et énergiques de Mlle Gertrude étaient restés fixés dans ses yeux, il avait encore dans l’oreille sa voix brève et impérieuse.

— Tiens, petit, mange cette galette ! elle est énorme, mais tu es bien assez glouton pour en venir à bout !

C’était sa façon originale d’offrir : toujours une parole désagréable à côté d’un bon mouvement, une rebuffade avec un cadeau !

Elle ne se doutait guère que le Jean Bernard à qui elle écrivait cette lettre insolente, et qu’elle traitait en valet, n’était autre que le comte de Ponthieu, qui aurait pu s’installer en maître dans le château dont elle venait d’hériter.

Cette idée amusait le jeune homme tandis que sa fierté se révoltait sous l’appellation de voleur qui lui cinglait le visage comme un coup de fouet…

Mais la nécessité, cette marâtre cruelle dont nous devons quelquefois subir la tyrannie implacable, parlait plus haut que son orgueil ; la vision des deux enfants à qui sa vie appartenait, qu’il avait juré de protéger, d’élever, se dressait devant lui… Il entendait la voix rieuse de Madeleine,