Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
TANTE GERTRUDE

de la harpe se mêlaient aux notes plus graves de l’orgue, berçant de leur mélodie les oreilles des assistants ; mais les conversations continuaient à voix basse et les réflexions marchaient leur train.

— Comment peut-on être si belle et épouser un homme aussi laid, aussi vulgaire ? faisait remarquer à sa compagne une petite blondine, dont la mise modeste indiquait une ouvrière.

— Assurément, elle ne l’aime pas.

L’autre, plus âgée, haussa les épaules.

— Est-ce qu’il est question d’amour dans les mariages de ce monde-là ! Il a de l’argent, c’est le principal !

Au premier rang de la nef, confortablement installées devant leur prie-Dieu de velours rouge, deux dames se communiquaient leurs impressions.

— Oui, ma pauvre amie, déclarait Mme de Béthencourt, on a tout fait pour détourner Paulette de cette mésalliance, mais il n’y a pas eu moyen.

Il y a deux ans, quand sa mère est morte, il ne restait presque rien à la petite ; M. de Neufmoulins, avec ses goûts princiers et ses fantaisies excentriques, avait fait une telle brèche à sa fortune ! Sa veuve, après avoir tout liquidé, avait à peine retrouvé sa dot, assez mince, comme vous le savez. Paulette fut alors recueillie par Jean de Neufmoulins, son oncle, mais elle ne put jamais s’habituer au caractère et aux manies de ce vieil original. Mlle Gertrude, sa tante, n’était pas faite non plus pour lui plaire. La petite adore le luxe et elle a hérité de son père un fol amour pour la dépense et les plaisirs.

— Je crois que sa mère n’était guère plus raisonnable, fit remarquer la seconde interlocutrice, la comtesse de Neuilly. Elle a été bien mal élevée, cette petite !

— C’est dommage, repartit Mme de Béthencourt, car je vous assure que Paulette, au fond, est charmante et a beaucoup de cœur.

— Elle le prouve, ma foi, en se vendant comme elle le fait ! déclara la comtesse d’un ton pincé.

— Pauvre mignonne, il faut l’excuser, elle a été si abandonnée ! Les circonstances plaident pour elle ! Je la plains plus que je ne la blâme.