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SABBAT

— Je ne vis la maîtresse de ce lieu que deux fois, mais je n’oublierai jamais la robe trop soyeuse, couleur de tabac, de cette vieille Carmen à la moustache farouche et au ventre énorme. L’œil mauvais et l’éventail adorable : la ballerine du défi autour de la sombre préméditation espagnole…

Cette femme rotait ignoblement, mais son éventail…

— Il se souvenait de José qui, par toquade, entra au monastère et ne quitta plus, pour ainsi dire, la cagoule noire. L’Espagnole, à cette époque, avait dix-huit ans. José en comptait vingt-deux. Pendant quarante ans, elle ne cessa de l’appeler, et l’on peut affirmer que l’Espagnole a nourri son ventre monstrueux avec le plus bel amour qui fut. Elle n’avait qu’une obsession : reprendre à Dieu l’infidèle, et toute cette sainte imagerie passionnée que tu vois chez elle n’a brillé, n’a brûlé, n’a rêvé, ne s’exalta que pour celui qui s’abrutissait et vieillissait sous son vêtement burlesque et macabre.

L’Espagnole trempait ses doigts chargés de bagues dans d’infâmes sauces au safran, mais la jolie petite gourde toujours pleine : l’Espérance, l’abreuva miraculeusement toujours…

Sur le pied de la Vierge noire repose, attentif, étincelant, contradictoire, ironique, méchant et de toutes les couleurs, le jeu de tarots, et c’était, entre la vieille Carmen et la Négresse divine, d’étranges dialogues :

« N’est-ce pas, Madone ? Le Cavalier