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SABBAT

Je me suis laissé dire que vous préfériez le saumon au bifteck.

— Blasphématrice, hérétique, impie, et, sans doute, relapse !

— Appelez-moi simplement : « Poète », allez… Ça suffit à mes épaules.

Vous rôtirez éternellement, mais nous, à jamais, à jamais, à jamais, face à face avec l’Esprit, nous sentirons la félicité sans nom baigner…

— Votre gueule ravissante, c’est entendu.

Chacun de nous — n’est-ce pas ? — lui présentera son petit carnet. Sur l’un, Il écrira : 0, et ce sera l’Enfer. Sur l’autre : 20/20, et ce sera le Paradis. Sur l’autre : la moyenne, et ce sera le Purgatoire. Il y aura des cancres, des médiocres, des forts en thème et… l’Instituteur… comme toujours.

Ça, Dieu ?

Ah ! qu’a-t-on fait de mon adolescence, de ma jeunesse ? Je sais quelle niaiserie et quel désespoir on dispense chez les saintes Patronnes des écrouelles, protectrices de couvents, d’ouvroirs et de congrégations, chez les bedeaux qui éclairent d’un cierge de quinze sous la route de l’Éternité.

Je ne me suis pas endormie, une fois, quand j’étais belle, chaste, avide de la plus noble vie et du plus grand rêve, sans m’entendre menacer de la mort subite, du Dieu vengeur, de l’enfer, de l’enfer par quelque nonne maladive ou gonflée de sang comme un bourreau.