Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 6.djvu/115

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lequel semblait, par comparaison, trop solennel et presque commun.

L’un disait que le capitaine avait acheté un nouveau cheval. « Il peut acheter tous les chevaux qu’il veut. J’ai rencontré Saint-Loup dimanche matin allée des Acacias, il monte avec un autre chic ! » répondait l’autre, et en connaissance de cause ; car ces jeunes gens appartenaient à une classe qui, si elle ne fréquente pas le même personnel mondain, pourtant, grâce à l’argent et au loisir, ne diffère pas de l’aristocratie dans l’expérience de toutes celles des élégances qui peuvent s’acheter. Tout au plus la leur avait-elle, par exemple en ce qui concernait les vêtements, quelque chose de plus appliqué, de plus impeccable, que cette libre et négligente élégance de Saint-Loup qui plaisait tant à ma grand’mère. C’était une petite émotion pour ces fils de grands banquiers ou d’agents de change, en train de manger des huîtres après le théâtre, de voir à une table voisine de la leur le sous-officier Saint-Loup. Et que de récits faits au quartier le lundi, en rentrant de permission, par l’un d’eux qui était de l’escadron de Robert et à qui il avait dit bonjour « très gentiment » ; par un autre qui n’était pas du même escadron, mais qui croyait bien que malgré cela Saint-Loup l’avait reconnu, car deux ou trois fois il avait braqué son monocle dans sa direction.

— Oui, mon frère l’a aperçu à « la Paix », disait un autre qui avait passé la journée chez sa maîtresse, il paraît même qu’il avait un habit trop large et qui ne tombait pas bien.

— Comment était son gilet ?

— Il n’avait pas de gilet blanc, mais mauve avec des espèces de palmes, époilant !

Pour les anciens (hommes du peuple ignorant le Jockey et qui mettaient seulement Saint-Loup dans la catégorie des sous-officiers très riches, où ils faisaient