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Page:Proust - Albertine disparue.djvu/165

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voudrions, quand nous aimons, c’est-à-dire quand l’existence d’une autre personne nous semble mystérieuse, trouver un tel narrateur informé ! Et certes il existe. Nous-même, ne racontons-nous pas souvent, sans aucune passion, la vie de telle ou telle femme à un de nos amis, ou à un étranger, qui ne connaissaient rien de ses amours et nous écoutent avec curiosité ? L’homme que j’étais quand je parlais à Bloch de la princesse de Guermantes, de Mme Swann, cet être-là existait qui eût pu me parler d’Albertine, cet être-là existe toujours… mais nous ne le rencontrons jamais. Il me semblait que, si j’avais pu trouver des femmes qui l’eussent connue, j’eusse appris tout ce que j’ignorais. Pourtant, à des étrangers il eût dû sembler que personne autant que moi ne pouvait connaître sa vie. Même ne connaissais-je pas sa meilleure amie, Andrée ? C’est ainsi que l’on croit que l’ami d’un ministre doit savoir la vérité sur certaines affaires ou ne pourra pas être impliqué dans un procès. Seul, à l’user, l’ami a appris que, chaque fois qu’il parlait politique au ministre, celui-ci restait dans des généralités et lui disait tout au plus ce qu’il y avait dans les journaux, ou que, s’il a eu quelque ennui, ses démarches multipliées auprès du ministre ont abouti chaque fois à un « ce n’est pas en mon pouvoir » sur lequel l’ami est lui-même sans pouvoir. Je me disais : « Si j’avais pu connaître tels témoins ! » desquels, si je les avais connus, je n’aurais probablement pas pu obtenir plus que d’Andrée, dépositaire elle-même d’un secret qu’elle ne voulait pas livrer. Différant en cela encore de Swann qui, quand il ne fut plus jaloux, cessa d’être curieux de ce qu’Odette avait pu faire avec Forcheville, même, après ma jalousie passée, connaître la blanchisseuse d’Albertine, des personnes de son quartier, y reconstituer sa vie, ses intrigues, cela seul avait du charme pour moi. Et comme le désir vient toujours d’un prestige préalable, comme il était advenu pour