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Page:Proust - Pastiches et Mélanges, 1921.djvu/201

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EN MÉMOIRE DES ÉGLISES ASSASSINÉES

tragédies antiques. Certes le gouvernement ne manquerait pas de subventionner une telle tentative. Ce qu’il a fait pour des ruines romaines, il n’y faillirait pas pour des monuments français, pour ces cathédrales qui sont la plus haute et la plus originale expression du génie de la France.

Ainsi donc voici des savants qui ont su retrouver la signification perdue des cathédrales : les sculptures et les vitraux reprennent leurs sens, une odeur mystérieuse flotte de nouveau dans le temple, un drame sacré s’y joue, la cathédrale se remet à chanter. Le gouvernement subventionne avec raison, avec plus de raison que les représentations du théâtre d’Orange, de l’Opéra-Comique et de l’Opéra, cette résurrection des cérémonies catholiques, d’un tel intérêt historique, social, plastique, musical et de la beauté desquelles seul Wagner s’est approché, en l’imitant, dans Parsifal.

Des caravanes de snobs vont à la ville sainte (que ce soit Amiens, Chartres, Bourges, Laon, Reims, Beauvais, Rouen, Paris), et une fois par an ils ressentent l’émotion qu’ils allaient autrefois chercher à Bayreuth et à Orange : goûter l’œuvre d’art dans le cadre même qui a été construit pour elle. Malheureusement, là comme à Orange, ils ne peuvent être que des curieux, des dilettanti ; quoi qu’ils fassent, en eux n’habite pas l’âme d’autrefois. Les artistes qui sont venus exécuter les chants, les artistes qui jouent le rôle des prêtres, peuvent être instruits, s’être pénétrés de l’esprit des textes. Mais, malgré tout, on ne peut s’empêcher de penser combien ces fêtes devaient être plus belles au temps où c’étaient des prêtres qui célébraient les offices, non pour donner

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