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Page:Proust - Pastiches et Mélanges, 1921.djvu/81

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autres, il ne craignait personne et vivait dans une solitude qu’il rendait de plus en plus stricte par chaque ancien ami qu’il en chassait. Il était fort de ceux de Mme Straus, fille et veuve des célèbres musiciens Halévy et Bizet, femme d’Émile Straus, avocat à la cour des Aides, et de qui les admirables répliques sont dans la mémoire de tous. Sa figure était restée charmante et aurait suffi sans son esprit à attirer tous ceux qui se pressaient autour d’elle. C’est elle qui, une fois dans la chapelle de Versailles où elle avait son carreau, comme M. de Noyon dont le langage était toujours si outré et si éloigné du naturel demandait s’il ne lui semblait pas que la musique qu’on entendait était octogonale, lui répondit : « Ah ! monsieur, j’allais le dire ! » comme à quelqu’un qui a prononcé avant tous une chose qui vient naturellement à l’esprit.

On ferait un volume si l’on rapportait tout ce qui a été dit par elle et qui vaut de n’être pas oublié. Sa santé avait toujours été délicate. Elle en avait profité de bonne heure pour se dispenser des Marly, des Meudon, n’allait faire sa cour au Roi que fort rarement, où elle était toujours reçue seule et avec une grande considération. Les fruits et les eaux dont elle avait fait en tous temps un usage qui surprenait, sans liqueurs, ni chocolat, lui avaient noyé l’estomac, dont Fagon n’avait pas voulu s’apercevoir depuis qu’il diminuait. Il appelait charlatans ceux qui donnent des remèdes ou n’avaient pas été reçus dans les Facultés, à cause de quoi il chassa un Suisse qui aurait pu la guérir. À la fin, comme son estomac s’était déshabitué des nourritures trop fortes, son corps du sommeil et des longues promenades, elle