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Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/188

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avoir des âmes, surtout celles qui ne demandaient qu’a rester dans leur corps !

M. Brifaut, pour remplacer Siroco, avait loué deux garçons de dix-sept à vingt ans, et il prétendait qu’ils ne faisaient pas le quart du travail que vous abattait ce coquin de Siroco. Et puis ce n’était pas du tout le même genre de travail : Siroco aimait les roses, lui ; ces garçons-là les bêchaient, simplement.

Mary était trop jeune pour savoir ce qui l’attirait chez M. Brifaut ; cependant elle s’asseyait durant des heures sous les roses moussues, ressassant des souvenirs en compagnie d’un vieil homme et elle en rapportait une joie mélancolique l’aidant à finir toute une semaine d’études.

On la promenait aussi dans Vienne, à la musique, sur la place plantée de beaux platanes, et les officiers de son père la saluaient respectueusement ; elle devenait une demoiselle, elle répondait du haut de la tête, surtout à Jacquiat ; elle lui en voulait de l’avoir négligée un an pour son frère. Puis elle entendait les lamentations des six filles de la trésorière qui regrettaient les oublis de Dôle bien meilleurs que ceux de Vienne et dont on avait davantage pour deux sous. Au fond, elle s’ennuyait d’un ennui tranquille, sorte de mal de croissance qui tuait en elle tous ses bons instincts, la laissait à la merci de ses précoces passions de fille cruelle et ne lui ouvrait aucun des horizons de l’intelligence. Elle n’avait point le désir de s’attacher, soit à une fleur, soit à une montagne, soit à un chien, puisque l’on quitte brusquement les choses