Aller au contenu

Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’autre voit briller encore une fois devant lui les belles épaules, et un court instant la beauté luit encore à ses yeux ; puis il n’y a plus eu, pour lui, même cette possession. Ça s’en va. La beauté s’en va, elle s’est éteinte.

Il n’y a plus eu que ce petit homme à la peau jaune et à la moustache tombante, lequel s’est avancé tranquillement, fait encore tranquillement deux ou trois pas ; puis, comme le Savoyard ne s’était toujours pas arrêté, on le voit qui fait basculer les canons de son fusil et y glisse les cartouches…

Elle respire profond. Son souffle lui est descendu sous les côtes ; il lui monte jusque dans ses épaules qui se haussent, faisant un grand pli dans la peau de l’un et de l’autre côté de son cou.

Elle s’est laissée aller du dos contre le montant de la porte. Il fait bon. Elle respire profond, sa tête va de côté. Il fait bon et beau dans le monde. Le ciel est de nouveau d’une seule pièce au-dessus de vous il est de nouveau dans l’immobilité. Elle respire encore une fois profond, elle respire le bon air comme une chose bien gagnée. Elle va avoir la liberté, — elle avait oublié qu’il y avait quelqu’un là…

C’est Bolomey, il a sa carabine sous le bras, il a dit :

— Il vous faut entrer, Mademoiselle…

Il baisse les yeux en parlant, alors voilà qu’elle les baisse aussi :

— On va tâcher de vous trouver des habits, quand même on n’est pas riche, surtout en habits de femme…