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Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/170

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qu’il n’y a personne nulle part. Personne que sa petite ombre qui est un peu à gauche et un peu en avant d’elle dans l’herbe. Elle regarde alors en arrière d’elle où on voit le village s’abaisser peu à peu, venant à vous maintenant avec sa partie de dessus et ses toits ; mais ça ne compte pas, ces toits. Ni ces pommiers, ni ces noyers, ni ces poiriers, ni toutes ces barrières, ni la ligne du chemin de fer, ni la gare ; et, à mesure qu’on monte, on voit l’eau devenir de plus en plus large, avec en arrière d’elle les montagnes qui balancent dans l’air chaud comme des ballons prêts à partir. Mais ni elles, ni l’eau non plus, ni le beau soleil, ni tout ce qu’on voit. C’est posé à côté de vous et nous on est posé à côté de ça, pour un moment, et puis c’est tout. Elle va seule, avec son ombre. Elle voit venir la vigne où les trois hommes doivent l’attendre. La vigne vient derrière son mur ; on y entre par une ouverture percée dans le mur et qu’on ferme au moyen d’une porte de fer peinte en rouge ; elle voit les larges feuilles dentelées dont le beau vert est taché comme s’il avait plu bleu dessus. Et il a plu bleu par terre, il a plu bleu sur les pierres, sur les échalas, qu’est-ce que ça nous fait ? Elle voit venir son père et ses deux frères sous la hotte de cuivre et le grand chapeau de jonc ; ils ont la moustache comme des morceaux de mur pas encore secs, ils ont la poitrine comme une maçonnerie, ils ont des pantalons comme des tuyaux de ciment. Ils lui ont dit : « Ah ! te voilà, » ils ont été se laver les mains. Il n’y a rien. Elle pose son panier sur