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Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/18

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affaires, commis-voyageurs en tournée, marchands de vaches à longues blouses noires ou violettes ; ils sont descendus, ils étaient trois ou quatre ; Milliquet se tenait à la tête du convoi. Les voyageurs sont descendus, déjà ils sortaient de la gare ; déjà le chef de gare, portant le sifflet à sa bouche, allait donner le signal du départ ; c’est à ce moment qu’on a vu le contrôleur monter précipitamment dans un des wagons, puis reparaître avec une valise. Elle était parue à sa suite.

Le train s’est éloigné rapidement, pendant que les voyageurs l’un après l’autre s’engageaient sur la route ; il ne restait plus sur le quai, du côté de la queue du train, que cette personne dont on ne pouvait rien voir, quoique grande, faisant une sorte de paquet jaunâtre, tout enveloppée et emmitouflée qu’elle était dans un manteau à capuchon ; une personne sans bras, ni tête, et qui ne bougeait plus, sa valise posée à ses pieds.

Milliquet s’est approché sous son parapluie.

Il s’est approché dans ses gros souliers de cuir de vache et à œillets de laiton qu’il traînait dans le gravier, ses varices le faisant particulièrement souffrir ce jour-là ; tout en venant, il se retourne, il a fait signe au gamin de le suivre ; et devant lui, alors, de ce long espace de temps (trois semaines), de toutes ces mers et ces îles, de tous ces pays feuilletés (et de ses espérances aussi, il faut le dire, parce que Rouge et l’atlas avaient fini par lui fouetter l’imagination) — c’est seulement cette pauvre chose qui était née, cette pauvre petite chose grise.