Aller au contenu

Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La lecture n’a pas introduit une idée saine dans l’esprit de l’homme. Elle y a jeté toutes les aberrations et tous les mensonges de la société.

Que lit le peuple quand il sait lire ? — S’il est pieux, des livres d’ascétisme et de mysticité qui le fascinent ; — s’il est déjà émancipé des enseignemens de la religion, des livres obscènes et impies qui l’énervent et l’abrutissent. — Cherche-t-il à se rendre compte de ses intérêts et de ses droits ? Il s’adresse aux gazettes. — Aspire-t-il à perfectionner seulement les applications les plus communes de son travail journalier ? Sa science est dans le Petit Albert et l’Almanach de Liège. —

Voilà de merveilleux instrumens d’instruction !

Et s’il n’en était pas ainsi, si tous étaient propres à tout ; si les bulletins de l’Académie des Sciences, que peu de personnes comprennent, et les amplifications de l’Académie Française, que personne ne comprend, se développaient pour la première fois avec clarté devant toutes les intelligences, permettez-moi de vous demander où seraient vos prolétaires ? Autrement dites-moi comment on fait une nation sans prolétaires, dans laquelle tout le monde paie le cens, et où il n’y a si mince individu qui ne puisse exhiber thèse de docteur ou diplôme de bachelier ès-lettres ?

Les bons livres sont bonne chose. J’en ai lu quelques-uns, et je ne les ai que trop aimés pour ma fortune et pour mon bonheur. L’instruction est le besoin inné de quelques âmes choisies qui s’y élèvent malgré tous les obstacles, et qui parviennent avec une puissance qui leur est propre à ses résultats les plus élevés. Celles-là vous dispensent de vos soins ; elles grandissent sans maîtres.

Il n’est pas certain, à ce qu’on dit, qu’Homère sût lire et écrire ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne pouvait ni lire ni écrire. Il était aveugle.

Croyez-vous par hasard que Rousseau soit devenu Rousseau en vertu de quelque grâce spéciale attachée aux leçons de Mlle Lambercier ? Jamais, au contraire, occasion si opportune ne s’est rencontrée pour faire d’un grand homme un homme nul ou pervers. L’école de la nature vous a seule donné le plus éloquent des phi-