Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/239

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tout faire, à tout sacrifier pour colorer un peu la vie pâle et morne qu’il promenait depuis dix ans.

» Il n’était bruit alors que de la prima donna. Ne pouvant se la partager, les deux seigneurs la tirèrent au sort. Elle échut au duc de R**. Gina se rit et du duc et du sort. Le duc amusa tout Vérone. Son amour-propre fut cruellement blessé. Je l’aurai ! s’écria-t-il un matin. Le soir elle était à lui ; Gina était duchesse.

» Ne me demandez pas les raisons qui la déterminèrent à échanger son bonheur contre un titre et de l’opulence ; je les ai toujours ignorées. Pensa-t-elle s’élever plus haut dans l’opinion en joignant un faux éclat à tant d’éclat solide et réel dont l’entourait son talent ? Eut-elle la faiblesse de se croire au-dessous de ces femmes qui l’applaudissaient tout haut, et qui l’enviaient en secret ? Hélas ! elle était plus qu’elles toutes ; elle préféra devenir la dernière d’entre elles.

» Vérone perdit ses soirées de délices. Une fièvre brûlante s’empara de moi, et je n’échappai à la tombe que pour me sentir agité de tous les tourmens de l’enfer. Le barbare ! il avait désenchanté ma vie ; et cette femme que j’idolâtrais, cette femme que j’avais respectée jusque dans mes rêves les plus doux, elle était à lui, il l’avait à lui seul ; je voulus mourir.

» Je n’eus pas même la consolation de la savoir heureuse, pour adoucir la douleur qui consumait mes jours. Pauvre Gina ! la plante qui croît sur la montagne périt à l’ombre des vallons. Son mariage fut splendide et triste. On enviait le bonheur de Gina, elle s’y laissa traîner en tremblant. Dès le premier jour elle se sentit à l’étroit dans cette destinée nouvelle. Adieu cette vie d’artiste, si pleine et si brûlante ; adieu les agitations du théâtre, les enivremens de la gloire ! Vint le positif de la vie, froid et sec comme le cœur du riche ; celui de Gina s’y brisa. Pauvre femme ! le luxe et l’opulence ne lui allaient pas ; il fallait à ses larges poumons un air et plus âpre et plus libre. Ses joues se cavèrent, et ses grands yeux bleus se marbrèrent de noir. Triste sans chagrin, on la vit d’abord joyeuse sans gaieté. Si le soir, dans ses salons brillans qui réunissaient toute la noblesse de Vérone, elle s’abandonnait à la