Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/242

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mais un soir que le duc de R** donnait une fête aux seigneurs de Vérone, je me mêlai à la foule élégante qui se pressait dans la cour de son palais, et je glissai inaperçu à travers les colonnes de marbre : bientôt la fraîcheur parfumée du soir caressa mon visage, et je me trouvai dans les allées ombreuses d’un jardin immense et désert. J’errai long-temps, sombre et soucieux, aux sons de la mandoline, aux refrains de la Tarentaise, et lorsque je secouai les idées vagues et pénibles qui m’oppressaient comme un cauchemar, les chants de fête avaient cessé, les flambeaux étaient éteints, et le palais s’élevait devant moi, silencieux comme une tombe. Rafraîchi par la brise, qui m’apportait les parfums des cythises, la tête plus calme et les sens reposés, je contemplais sa façade d’architecture composite, sans chercher à me rendre compte de l’endroit où je me trouvais et des motifs qui m’y avaient conduit, lorsque j’aperçus à travers les larges carreaux l’éclat d’une lumière qui tremblait, blanche et triste, sur des rideaux de velours cramoisi. Une voix s’éleva dans le silence solennel de la nuit, et l’air vint en frémissant se briser sur les vitres qui, frappées en même temps des rayons de la lune, brillaient de mille facettes d’argent. Je tressaillis : c’était sa voix céleste ! Je sentis mon cœur rajeuni s’épanouir comme en ses beaux jours ; c’était Gina ! Je l’entendais encore ! Plusieurs portes de glace roulèrent sur leurs gonds ; la voix s’approcha plus grave et plus sonore ; l’herbe fraîche fléchit en criant ; un frôlement de robe agita le feuillage, et à travers les citronniers et les myrthes je vis Gina, s’avancer lentement, pâle, les cheveux séparés sur le front en deux bandes noires et luisantes, et éclairées par la lune qui, bizarrement découpée par les nuages, jouait de ses rayons capricieux avec les plis de son vêtement blanc. Son aspect me fascina, et je restai immobile, les mains tendues vers elle.

Ses bras étaient nus, ses épaules à moitié découvertes, et sa robe fine et légère dessinait la maigreur diaphane de ce corps que depuis si long-temps l’ame fatiguait et brisait sans cesse. Elle alla s’asseoir sur un tertre de gazon humide, et là, appuyée sans art, presque sans grâce, d’une voix triste et plaintive, elle chanta la romance du Saule : c’était Desdemona, la Desdemona de Shaks-