Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/244

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viens, plus près encore ! ma Gina ! mon amour ! souffrances, tourmens, peines amères ; un chant de ta voix a tout emporté !… Elle me regarda d’un air étonné ; une de ses mains s’appuya sur son cœur, l’autre sur son front, et elle eut l’air de chercher à se ressouvenir. Oh ! je te connais bien ! dit-elle… Mon regard était étincelant, ma voix forte et brève. La terre fuyait sous mes pieds. Je m’élançai ; je saisis Gina dans mes bras ; mais elle poussa un cri perçant, et s’arrachant à mes étreintes, elle glissa comme une ombre à travers le feuillage ; je courus sur ses pas, mais la lune n’éclairait plus, la nuit était noire ; furieux, égaré, après avoir escaladé le mur du jardin et parcouru long-temps les rues désertes de Vérone, sans savoir où j’allais, sans chercher à le savoir, je rentrai chez moi, j’eus la fièvre ; j’ignore ce que je devins, et les jours s’écoulèrent sans que j’en marquasse le cours.

» Rendu à la vie et à la raison, cette nuit de délire me poursuivit d’abord de paroles vagues et mystérieuses. Je me rappellais qu’autrefois tout Vérone avait parlé de la passion sympathique que la prima donna nourrissait pour moi ; incrédule comme autrefois, je souriais de mes souvenirs : mais au moins j’avais marqué dans la vie de Gina, je n’avais point traversé son existence comme une joie qui passe et qu’on oublie, comme un jour qu’un autre jour efface. Puis une incertitude effrayante me plongea dans mille tourmens. Je songeai à mes jours de folie : je me crus abusé par les rêves fantasques de la fièvre qui m’agitait alors ; cette nuit de délices disparut dans un lointain douteux ; ma tête trop faible pour tant de bonheur le rejeta bientôt sans y croire ; et cependant, ange déchu, je ne sais quelle idée confuse du ciel vivait en moi, j’ignore à quels souvenirs du passé mon sang refluait violemment vers mon cœur. Je fus long-temps souffrant et faible. Dès que j’eus retrouvé des forces, je voulus revoir encore ce théâtre où j’allais autrefois pour vivre. Je m’y traînai avec peine, et je tombai accablé de fatigue sur le dernier banc. Gina remplissait encore cette salle déserte et le passé se dressa tout vivant devant moi. Hélas ! je ne vous dirai ni ma joie ni mes peines… Qui n’a pas revu après des jours de tourmente et d’orage les lieux où s’écoula la