Aller au contenu

Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de R**, qui s’élança, sombre et mécontent, au milieu de cette scène de délire, et vint arracher sa femme aux rapides instans de joie qu’elle venait de retrouver.

» Ce n’était donc pas un songe, une vision de mes nuits agitées. Gina savait mon nom, mon amour ; peut-être aussi se rappelait-elle confusément m’avoir parlé dans une de ses nuits de fièvre et d’égarement. Une rapide espérance me rendit la raison : je fis des projets comme eût pu les faire un homme dans son bon sens, je prêtai intérêt aux choses extérieures, je compris ce qui se passait autour de moi. Gina se mourait : je passai mes jours et mes nuits à songer aux moyens de lui rendre la vie. J’entendis parler d’un célèbre médecin qui venait d’arriver de Londres, et qui était descendu dans cette hôtellerie. Je vins le trouver. « Si vous la sauvez, lui dis-je, je suis à vous. Ce n’est pas seulement ma fortune que je vous donnerai, c’est mon sang, c’est mon cœur, c’est ma vie qui vous appartiendront. » Le médecin m’interrogea. On l’avait déjà fait appeler auprès de la duchesse de R***. Il l’avait trouvée à la dernière période d’une maladie de langueur dont il ignorait la cause. Ce n’est pas le duc de R*** qui la lui aurait apprise. Je m’en chargeai pour lui. « Ne voyez-vous pas, lui dis-je, que cette ame d’artiste, avide de secousses et d’émotions, languit et meurt dans la fastueuse indolence des grandeurs où on l’a reléguée ? La cantatrice est devenue duchesse ; et l’on demande pourquoi Gina se meurt d’ennui et de dégoût ! C’est la gloire qu’il lui faut : qu’on la rende à son élément, et vous la verrez refleurir.

» Le médecin parla. Le duc repoussa d’abord cette idée avec hauteur. Il vit sa femme prête à mourir ; elle était nécessaire à son bonheur : il fit pour lui-même ce qu’il n’eût pas fait pour elle. Il promit tout. L’espoir et la joie ont donné un peu de force à Gina ; ce soir elle est rendue au théâtre, à Vérone, à la vie ; dans un instant je vais l’entendre… Mon ami, dites-moi, pensez-vous qu’on meure de bonheur ? »


La pendule sonna sept heures ; la foule se précipita hors de l’hôtellerie, et se porta vers le théâtre. Valterna agrafa son épée, jeta