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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 1.djvu/163

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L’ENFANT MAUDIT.

arraché plutôt par une affreuse vision de sa destinée que par les angoisses de la crise prochaine.

Ce gémissement acheva de prouver au comte la vraisemblance de tous les soupçons qui se réveillaient dans son esprit. Une rage concentrée lui brisa le cœur ; mais, affectant un calme que les accens de sa voix, ses gestes, ses regards démentaient, il se leva précipitamment ; puis, s’enveloppant à la hâte d’une robe en velours noir qu’il trouva sur un fauteuil, il alla fermer soigneusement une porte située auprès de la cheminée, et par laquelle on pouvait passer de la chambre de parade dans les appartemens de réception qui communiquaient à l’escalier d’honneur.

En voyant le soin avec lequel son mari gardait cette clef, la comtesse eut le pressentiment d’un malheur. Épiant ses mouvemens avec une indéfinissable anxiété, elle l’entendit ouvrir la porte opposée à celle qu’il venait de fermer, et se rendre dans une autre pièce où couchaient les comtes d’Hérouville, quand ils n’honoraient pas leurs femmes de leur noble compagnie. Mais la comtesse ne connaissait que par ouï-dire la destination de cette chambre, car depuis son mariage quelques expéditions militaires avaient pu seules obliger le comte à quitter le lit d’honneur ; et l’on doit croire que, pendant ses absences forcées, il laissait plus d’un argus au château.

Alors la comtesse resta dans un profond silence ; et, malgré l’attention avec laquelle elle s’efforçait d’écouter le moindre bruit, elle n’entendit plus rien qui pût lui révéler les intentions de son mari. Le comte était arrivé dans une longue galerie aboutissant à sa chambre, et qui occupait toute l’aile occidentale du château. Le cardinal d’Hérouville, son grand-oncle, amateur passionné d’imprimerie, y avait amassé une bibliothèque aussi curieuse par le nombre que par la beauté des volumes ; et, la prudence lui avait fait pratiquer dans les murs une de ces inventions merveilleuses, conseillée par la solitude ou la peur monastique.